« L’intelligence artificielle sera un agent d’hyperesthétisation et de singularisation kitsch de la pub »


Alors qu’il publie Le Nouvel Age du kitsch. Essai sur la civilisation du trop (Gallimard, 464 pages, 26 euros), le philosophe Gilles Lipovetsky rejette la vision apocalyptique d’une intelligence artificielle manipulatrice.

Grâce à l’intelligence artificielle, les marques et les publicitaires ont la capacité d’envoyer des messages davantage personnalisés. Est-ce de la manipulation ?

Soyons clairs : il s’agit en réalité d’opérations de séduction. Et la séduction n’est pas systématiquement de la manipulation. Avec les algorithmes et le système des recommandations individualisées, le marketing détient une puissance d’intrusion et de prédiction grandissante, mais le consommateur ne perd pas toute autonomie subjective et peut également y trouver son compte.

Si les algorithmes de Netflix me proposent un éventail de choix en fonction de mes préférences – par exemple des comédies ou des films d’espionnage –, cela répond à mes désirs. En quoi est ce « totalitaire » ? La consommation n’a-t-elle pas pour finalité le plaisir et la satisfaction ? L’usage de l’intelligence artificielle va intensifier la pression sur le consommateur pour le faire consommer. Mais ne diabolisons pas cet aspect : les choix consommatoires ne concernent pas le tout de la vie et il est illusoire de croire que le big data ait le pouvoir de se rendre pleinement maître de la demande.

Pourtant, la publicité n’a-t-elle pas des conséquences « citoyennes » ?

La question n’est pas nouvelle et a même accompagné tout le XXe siècle en gagnant à chaque fois en intensité. Entre les deux guerres, on fustigeait les affiches publicitaires placardées dans la rue car elles étaient inesthétiques. Puis, en Mai-68, la contestation est montée d’un cran lorsque la consommation a été perçue comme un mode tragique d’aliénation où l’homme perdait son authenticité individuelle, sa liberté de pensée.

Mais avec la crise climatique, la critique écologiste a franchi un cap radical en présentant la consommation comme étant anticitoyenne…

Effectivement, face au drame de l’extinction des espèces, des catastrophes climatiques, le fait de consommer est stigmatisé comme une activité « criminelle », potentiellement apocalyptique… Mais la culpabilisation du consommateur est inefficace.

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Comment décryptez-vous, d’un point de vue philosophique, l’essor de l’IA, qui stimule cette consommation ?

Parce que l’IA s’approprie ce qu’on pensait être le propre de l’homme (l’intelligence, la création, l’art), elle va offrir de plus en plus de « possibilités » d’images inouïes, de spots publicitaires improbables, bluffants comme celui de La Laitière et surtout de Coca-Cola, qui se présente quasiment comme un petit film de science-fiction… Elle sera sans doute un agent d’hyperesthétisation et de singularisation kitsch de la pub.

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